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2.
L'indéterminisme
3.
"La causalité élargie" selon
Bernard d'Espagnat
4.
Bibliographie
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L'intérêt de la pensée de
Planck réside dans le fait qu'il désire
sauver le déterminisme malgré toute l'incertitude
qui règne dans le monde microscopique. Pour cela
il définit la
causalité grâce à la notion de lien à forme
de loi qui relie deux évènements dont le premier
est appelé cause et le second effet. Il en résulte
que la meilleure preuve de l'existence de ce lien
de causalité entre deux phénomènes consiste à
montrer que l'apparition de l'un de ces phénomènes
permet toujours de prédire à l'avance l'apparition
de l'autre.
D'autre part, Planck affirme une
seconde vérité qui certifie qu'en aucun cas il
n'est possible de prédire exactement un phénomène
physique. En effet, la théorie de
l'induction, selon Popper, n'est pas
viable car elle n'apporte pas la certitude logique
qui justifie l'enchaînement des événements, mais
elle repose sur l'observation d'une régularité qui
n'assure en rien sa pérennité. Donc, Planck part
de deux idées fondamentales pour sauver le
déterminisme causal :
-
Un événement est conditionné causalement
quand il peut être prédit avec certitude.
-
En aucun cas, il n'est possible de
prédire exactement un phénomène
physique.
Ou bien l'on maintient ces deux
vérités, et alors il n'y a pas dans la nature un
seul cas où l'on puisse affirmer l'existence d'un
lien causal, et il en résulte un indéterminisme causal.
Ou bien, on maintient la causalité stricte et il
devient nécessaire de modifier d'une manière ou
d'une autre la première proposition.
Si
l'on désire modifier la première vérité, le seul
terme sur lequel on peut jouer, est celui d'événement. En effet,
un événement est un certain phénomène purement
imaginaire ayant a lieu dans un monde, qui tient
lieu de monde sensible tel que nous le font
connaître directement les organes de nos sens,
aidés, au besoin et perfectionnés par l'usage des
instruments de mesure. Ce monde est le modèle
idéalisé qui a été crée dans le but d'éliminer
l'incertitude inhérente à toute mesure réelle et
de n'opérer que sur des concepts définis avec une
netteté absolue. Planck distingue donc le monde réel du monde
représenté par la science. Il en résulte
que toute grandeur mesurable a une double
signification, selon qu'on la considère comme
étant le résultat immédiat d'une mesure ou qu'on
la suppose se rapporter à ce modèle. Dans la
première acceptation, une grandeur doit toujours
être considérée comme étant définie d'une manière
imprécise; dans la seconde acceptation, une
grandeur est au contraire un symbole mathématique
déterminé sur lequel on opère en observant des
règles d'une rigueur absolue. En résumé, la prévision des
événements du monde sensible, qui pour Planck est
le monde réel, est toujours plus ou moins entachée
d'incertitude, alors que les lois qui régissent
l'image représentative physique de l'univers,
c'est à dire le modèle, sont toujours déterminées
par une causalité stricte.
Une telle
division entre le monde
sensible et le monde représentatif de
la science portait en elle l'espoir que les
différences iraient en s'atténuant en raison de
leur perfectionnement incessant apporté aux
méthodes de mesure. Or la physique quantique a
ruiné cette espérance. En effet, à partir du
moment où Heisenberg formula ses
incertitudes, constatant
l'impossibilité de déterminer précisément la
vitesse et la position d'un électron,
l'établissement d'une physique strictement causale
soulève des difficultés. Pour résoudre ce
problème, l'école de Copenhague affirme que
la détermination simultanée des coordonnées et de
la vitesse d'un point matériel n'a aucun sens
physique dans l'univers subatomique. Cette
échappatoire, comme le fait remarquer Planck, ne
permet pas de nier la causalité stricte car
elle ne peut être responsable de l'impossibilité
qu'il y a de donner une réponse à une question qui
n'a pas de sens. Ainsi, pour préserver la
causalité, on peut dire que l'influence causale
est exercée par l'instrument de mesure, ce qui
signifie que l'indétermination provient, pour une
part, de ce que entre la grandeur à mesurer et la
façon de mesurer, il y a une interdépendance
réglée par des lois. Le problème, dès lors, est de
savoir si l'hypothèse d'une action causale de
l'instrument de mesure apporte une explication
vraisemblable car nous ne connaissons un phénomène
qu'autant que nous le mesurons et toutes nouvelles
mesures, en physique quantique, est une nouvelle
perturbation. Ce qui
revient à dire qu'il est impossible d'isoler
l'indétermination afin d'en extraire les
causes. Dès lors l'incertitude, qui règne
au sujet de la prédiction des événements ayant
lieu dans le monde sensible, est ramenée à
l'impossibilité d'établir une correspondance
précise entre l'image représentative de la
physique et du monde réel. L'univers de la
physique quantique est bien plus éloigné du monde
sensible que celui de la physique classique et il
est incomparablement plus difficile, en physique
quantique qu'en physique classique, de transposer
dans le monde représentatif un événement du monde
sensible. Par exemple, le nom d'onde, dans la
conception classique, signifiait soit un mouvement
perceptible à nos sens, que l'on retrouve dans les
phénomènes liquides, soit dans un champ électrique
pouvant être mesuré directement. Dans la physique
quantique, ce mot ne désigne plus que la
probabilité d'existence d'un certain état. Cela a
fait naître une conception
indéterministe selon laquelle il faut
oublier la causalité car de toutes les mesures que
l'on peut effectuer, jamais on ne peut déduire
plus qu'une fonction d'onde à signification
purement statistique.
L'impossibilité de faire
coïncider le monde sensible et l'image
représentative qu'en a donné la science ne permet
pas de légitimer le principe de causalité.
Dès lors, Planck n'a d'autre moyen, pour sauver le
déterminisme causal, de chercher si le principe de
causalité n'aurait pas une signification plus
immédiate et plus profonde grâce à laquelle il
deviendrait indépendant de l'introduction d'une
construction artificielle et s'appliquerait, non
plus à l'univers purement représentatif des
physiciens, mais aux événements du monde sensible.
En ce sens, Planck ne modifie plus la notion d' "
événement " mais s'intéresse à l'observateur, c'est à
dire à celui qui fait la
mesure, car toute prédiction suppose un
objet sur lequel repose la prédiction et un sujet
qui prédit. On laisse donc à l'objet de la
prédiction son caractère d'être constitué par les
événements du monde sensible et on s'intéresse au
sujet dans son acte de prédiction. Planck constate
que la certitude de la prédiction dépend dans une
large mesure de l'individualité de celui qui l'a
faite. Dans ces conditions, il est donc tout
naturel de penser, qu'un esprit idéal qui
connaîtrait tous les phénomènes physiques
d'aujourd'hui jusque dans leurs moindres détails,
pourrait prophétiser avec une certitude absolue.
Grâce à cette hypothèse,
Planck en conclut que le principe de causalité ne
peut pas plus être prouvé qu'il ne peut être
réfuté. Il n'est donc, à proprement parlé,
ni vrai ni faux. C'est un principe heuristique, un
guide, le guide le plus précieux pour nous
indiquer la voie dans laquelle la recherche
scientifique doit s'avancer pour arriver à des
résultats féconds.
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de page
On s'aperçoit que Planck fait
intervenir l'hypothèse, très
laplacienne, que la connaissance de toutes les
causes permettrait la prédiction de tous les
phénomènes, reléguant aussi les incertitudes
d'Heisenberg au rang d'incertitudes provisoires
dues à des variables encore inconnues de l'esprit
humain. Or, pour Bohr, un démon ne pourrait pas
savoir, par exemple, la localisation exacte de la
particule dans l'expérience de la boîte de de
Broglie, car l'indétermination quantique ne
provient pas de l'incomplétude de la théorie mais
elle en est un des principes fondateurs.
Cependant, si la physique quantique est d'essence
indéterministe, elle ne l'est pas totalement. En
effet, on pourrait dire qu'elle use d'un déterminisme tempéré.
Et ceci de deux façons.
La première se
rapporte à la loi des grands nombres. Celle-ci
induit un "déterminisme
statistique" qui se manifeste dans
pratiquement toutes les occasions car ce n'est pas
à un électron que l'on a affaire mais à des
milliards. Cela permet
de noyer l'incertitude unitaire dans la
probabilité de l'ensemble. La seconde a
son origine dans le fait que les lois quantiques
ne sont pas toutes indéterministes. En effet,
l'équation de
Schrödinger, qui est une des formules de
base de la mécanique quantique, est parfaitement
déterministe. Elle permet de définir avec
exactitude les énergies internes des systèmes
étudiés ; cela signifie que c'est cette énergie
qui est déterminée et non pas l'instant ou le lieu
du système. Ainsi, elle représente la possibilité
d'amener un vecteur d'état représentatif à prendre
la forme : aA + bB. Dans ce cas, l'axiome en
question fournit les probabilités de trouver la
particule soit dans le canal A soit dans le canal
B. Naturellement, dans le cas où l'expérience est
faite non, plus sur une particule mais sur un
faisceau en contenant plusieurs millions, la loi
des grands nombres vient restaurer une forme de
déterminisme. Dans chaque canal on observera, à de
petites fluctuations près, un nombre de particules
à la probabilité prédite par la théorie ; ici,
elle est égale à la moitié dans le canal A et à
l'autre moitié dans le canal B. C'est ce que l'on
nomme le déterminisme
statistique. Cependant, selon
l'interprétation de Copenhague, on ne peut aller
plus loin dans le déterminisme. Pour elle, les
probabilités en question sont intrinsèques, ce qui
signifie que même un démon qui, par hypothèse,
connaîtrait absolument tout de l'état initial
d'une particule donnée et de l'instrument, ne
pourrait ni prédire dans quel canal la particule
sera trouvée, ni donner les raisons qui font qu'on
la trouve dans l'un plutôt que dans l'autre de ces
deux canaux. Ainsi, la
physique quantique récuse le principe leibnizien
de raison suffisante. En effet, selon Leibniz, une
connaissance entière des causes suffirait à donner
les raisons pour lesquelles un événement se
produit, reniant ainsi l'idée de hasard. Or, pour
l'école de Copenhague, la physique quantique
apporte la preuve que ce déterminisme strict n'est
pas viable.
Cependant, cette preuve
n'est pas partagée par tous, ce qui se traduit par
des théories ayant pour but de sauver le
déterminisme classique. Il en va ainsi pour la
théorie de l'onde-pilote propre à de Broglie.
Elle affirme que la particule et l'onde existent
l'une et l'autre simultanément et que la première
est pilotée par la seconde. La théorie peut être
rendue quantitative et, dans les situations
simples, les prévisions essentielles de la
mécanique quantique sont retrouvées. Toutefois,
elle ne se maintient dans les cas plus complexes
qu'à force de modifications la rendant suspecte
d'artifices aux yeux des physiciens. L'important
ici, c'est que l'indéterminisme que suppose la
physique quantique puise sa légitimité dans
l'échec des nouvelles théories déterministes car
prouver l'indéterminisme ne peut se faire qu'en le
déterminant, c'est à dire le limiter à des
caractéristiques précises. C'est pourquoi Niels
Bohr, et avec lui l'école de Copenhague,
affirme qu'on ne peut rien dire de plus que la
réalité quantique est
indéterminée. Dès lors pour essayer de
justifier l'indéterminisme, il faut démontrer
l'inadéquation entre la pensée déterministe et le
Réel. C'est ainsi que Bernard d'Espagnat
montre dans ses divers ouvrages que la probabilité quantique,
ou déterminisme statistique, diverge de la
probabilité classique. En effet, les énoncés issus
de la probabilité quantique n'ont pas pour but de
nous exposer les propriétés de l'objet étudié mais
celui d'affirmer que si l'on fait sur cet objet la
mesure correspondant à la propriété étudiée, on
obtient le résultat "oui". La probabilité quantique
regroupe l'objet, l'entreprise de mesure et le
"on" qui désigne la collectivité des
scientifiques. Elle dépend donc de trois
variables alors que la probabilité classique ne
comprenait que celle de l'objet. Rétablir le
déterminisme suppose que l'on puisse fixer avec
certitude et en même temps ces trois variables.
Or, comme l'expose les incertitudes d'Heisenberg,
on ne peut pas différencier l'objet étudié du
dispositif de mesure. De même, on peut intégrer à
cette interdépendance celle de l'observateur qui,
par ses choix, oriente l'expérience. Dès lors, ce que l'on appelle
déterminisme statistique c'est l'équation qui
conjugue ces trois variables pour établir un
résultat. Prétendre que celui-ci est le
reflet du Réel qui se présente à travers l'objet,
c'est oublier le rôle des deux autres variables
que sont l'instrument de mesure et l'observateur.
Il en résulte nécessairement que ce résultat est
le reflet d'une réalité expérimentale qui a pour
but de mesurer le Réel. C'est donc une approche et
non l'observation d'une qualité pure de la
réalité.
De plus, il ne faut pas limiter ce
déterminisme statistique à la seule conjugaison de
trois variables car cela signifie que chacune
dispose d'une réalité permanente et indépendante.
Or, selon l'interprétation de Copenhague, un objet
atomique ou subatomique ne jouit pas d'une authentique permanence.
Il n'apparaît qu'ici ou là lors d'une mesure,
c'est à dire lorsqu'il est détecté par un appareil
de dimension macroscopique conçu pour effectuer
cette détection. Mais il n'est pas possible, même
par la pensée, de lui attribuer une trajectoire,
ce qui signifie de l'imaginer occupant à chaque
instant un lieu précis, même quand il n'est pas
observé. A cela vient s'ajouter le fait que la
physique quantique nie le principe de
conservation de la matière. En effet, il
n'existe aucune sorte de particules dont le nombre
reste constant quelles que soient les
circonstances. Bernard d'Espagnat précise dans
Regards sur la
Matière (chapitre 2, 2ème partie), que
"toute particule, quel que soit son type -
électron, nucléon ou autre - peut éventuellement
être créée, en concomitance s'il y a lieu avec son
antiparticule, lors d'un choc entre deux, objets
subsistants, et aux dépens de la seule énergie de
mouvement de ces deux objets. Et, inversement, une
particule et une antiparticule du même type
peuvent s'annihiler réciproquement et leur masse
totalement ou partiellement se transformer en pure
énergie de rayonnement ou en mouvement d'autres
objets. Le principe de conservation de la matière
plaçait le physicien face à un tout limité par des
lois qui suggéraient une permanence toujours
accessible." La probabilité classique résultait
donc d'une ignorance, c'est à dire,
schématiquement, que la cause d'un phénomène était
soit la raison A soit la raison B, c'est à dire
une raison quelconque à déterminer mais qui
existait car on avait affaire à un tout limité par
des lois comme celles de la causalité. La probabilité quantique
expose le choix entre la cause A, la cause B ou
pas de cause du tout car le Réel n'est plus conçu
comme un tout accessible mais comme un concept
qui, s'il existe, nous échappe et nous échappera
toujours (ceci si l'on demeure dans le cas de
l'interprétation de Copenhague).
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"La causalité élargie" selon Bernard d'Espagnat
|
Admettre
l'indéterminisme ne signifie pas que l'on bannit
la causalité de l'explication scientifique.
Cependant, ne pouvant plus justifier l'utilisation
d'une causalité simplement déterministe, il faut
élargir le sens de cette notion. Bernard
d'Espagnat répond à Léna Soler dans Physique et Réalité que
"lorsque la cause recherchée ne peut être trouvée
parmi les faits que notre pensée
scientifico-déductive maîtrise bien, il me paraît
légitime de considérer que cette cause n'en existe
pas moins mais qu'elle se situe dans un domaine
que notre pensée ne maîtrise qu'imparfaitement".
En d'autres termes, cela signifie que la régularité des
phénomènes prouve, selon d'Espagnat,
l'existence d'une réalité indépendante. Dès lors,
le lien qui relie cette réalité indépendante à
cette régularité des phénomènes est nécessairement
causal, au sens où c'est parce que la réalité indépendante
présente certaines structures que les phénomènes
sont régis par des lois déterminées.
Pour
la définir de manière générale, la causalité élargie
désigne "l'action de la réalité indépendante sur
les phénomènes" (Bernard d'Espagnat dans Le Réel voilé). Elle
s'oppose à la causalité comme "moyen humain
d'organiser les phénomènes dans notre esprit",
qui, elle, ne permet de relier que des phénomènes
dans la réalité empirique. Au contraire, la
causalité élargie nomme la relation entre la
réalité phénoménale et la réalité indépendante. Il
s'oppose donc à la conception kantienne de la
causalité qui prescrit de la circonscrire au
seul champ des phénomènes. Si l'on voulait
traduire la pense de d'Espagnat dans le lexique
kantien, on identifierait la réalité empirique du
physicien aux phénomènes du philosophe et la réalité indépendante à la
chose en soi. Ainsi, la causalité élargie est ce
qui relie les phénomènes à la chose en soi.
Kant s'opposait à une telle relation car
l'application des catégories n'était valable que
dans le domaine phénoménal, seul domaine dans
lequel une connaissance digne de ce nom soit
susceptible d'émerger. Or, étant donné que la
physique quantique met à mal la causalité au
niveau des phénomènes, d'Espagnat estime qu'il
faut violer cet interdit kantien et élargir la
causalité à la chose en soi.
Il nous faut
signaler que la notion de causalité élargie est
présentée par d'Espagnat comme une hypothèse
suggérée par la physique quantique. Selon cette
hypothèse, " la notion d'une réalité dont
l'existence ne dépend en rien de la nôtre a un
sens par elle-même, quelles que soient, dans le
détail, la nature et la fiabilité de la
connaissance que nous sommes capables d'avoir de
celle-ci " ( Le Réel voilé). Ainsi, la notion de
réalité indépendante est explicitement présentée
comme une prémisse à la notion de causalité
élargie. Il en résulte que pour Bernard d'Espagnat
la causalité élargie est une conséquence logique
de la physique quantique associée à l'hypothèse de
l'existence d'une réalité indépendante. Cela a
pour conséquence de fragiliser cette notion de
causalité élargie. En effet, elle s'apparente à un
pont reliant une terre connue à un monde
totalement hypothétique, séparés par un vide ne
permettant aucun ancrage à une
assise.
D'Espagnat fait reposer l'existence de
la réalité indépendante sur deux preuves
essentielles : l'impression que quelque chose nous
résiste, c'est à dire que le monde ne peut pas
être issu exclusivement de notre représentation
car toutes les théories "ne marchent pas", et
l'accord intersubjectif. Or, comme le montre Léna
Soler dans Physique et Réalité, il y en a une
troisième. En effet, si l'on schématise
l'argumentation de d'Espagnat on peut la résumer
ainsi :
1) Nous ne
pouvons pas rendre compte des régularités
phénoménales à partir de n'importe quelle loi
mathématique.
2) Il existe
donc une cause à ce fait.
3) Quelle est la
nature de cette cause
? -
La cause est dans le champ des
phénomènes. -
Or le champ phénoménal se compose de deux
types d'êtres : l'esprit et la matière. Si la
cause des lois physiques est dans le champ des
phénomènes, il faut donc l'identifier soit à
quelque chose qui a trait à l'esprit soit à
quelque chose qui a trait au caractère inanimé des
phénomènes. - La cause ne peut être "nous" ; si ce
n'est pas l'esprit, est-ce que l'aspect matériel
des phénomènes peut être la cause des régularités
phénoménales ? Il répond que cela n'expliquerait
rien. -
Donc, la cause des légalités phénoménales
doit être recherchée en dehors des
phénomènes.
4) Conclusion :
la cause postulée des régularités empiriques est
indépendante des phénomènes, et on l'appellera
"réalité indépendante".
Cela signifie que
l'existence de la réalité indépendante repose sur
deux présupposés :
- Il doit exister une cause aux régularités
phénoménales. - La dualité
cartésienne entre la pensée et l'étendue
épuise les possibles phénoménaux.
Réunis, ces
deux présupposés convergent vers l'affirmation
d'une causalité liant la réalité indépendante à la
réalité empirique. Mais c'est seulement lorsqu'on
admet au préalable une relation de causalité qui
ne se réduit pas forcément à relier des phénomènes
que "ce qui cause" peut être nommé réalité
indépendante. Léna Soler en conclut que
c'est "la notion de causalité élargie qui apparaît
donc logiquement première par rapport à celle de
réalité indépendante".
Nous partageons la
conclusion de Léna Soler, cependant, le fait que
d'Espagnat renonce à limiter la causalité à la
réalité empirique ne nous apparaît pas comme un
principe mais bien plutôt comme une conséquence de
la physique quantique. En effet, les expériences
d'Aspect puis de Bernex et Bellevue prouvent la
non-localité, ce qui a pour résultante d'affirmer
la vraisemblance de l'interprétation de
Copenhague. En ce sens la théorie de la causalité
classique devient obsolète. Cela signifie qu'au
niveau des phénomènes règne l'indéterminisme. Or
comment, dès lors, pouvons-nous penser une
causalité qui ne lie pas des phénomènes déterminés
? Certes, il existe des modèles pour calculer
l'aléatoire mais ils ne définissent pas le
phénomène de façon positive mais plutôt de façon
négative. On entend par-là qu'ils définissent
l'objet en précisant ce qu'il n'est pas plutôt que
ce qu'il est. Par exemple, le moment de la
désintégration d'une molécule radioactive se
mesure en fonction d'une fourchette de valeurs
approchées, de l'ordre de la nanoseconde, c'est à
dire qu'on sait à peu près jusqu'à quel instant
elle ne se désintégrera pas et à partir de quel
moment on peut la considérer comme désintégrée.
Entre ces deux "certitudes" il y a un espace
irréductible où règne la plus grande
indétermination. Pour un opérationnaliste, cet
espace n'est pas gênant car il suffit de le
transformer en variable pour l'inclure dans une
causalité que l'on nommera causalité
indéterministe ; alors que pour un réaliste, ce
petit interstice ouvre sur un océan d'incertitudes
et de remises en question. Bernard d'Espagnat y voit une
ouverture à la métaphysique et c'est pourquoi il
nous semble qu'il énonce l'hypothèse d'une réalité
indépendante qui justifie et se justifie en même
temps par la notion de causalité
élargie.
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Bernard
d'Espagnat, Le Réel Voilé. Analyse des concepts
quantiques (1994. Fayard). Bernard d'Espagnat,
A la recherche du réel (Bordas; rééd. Coll.
Pocket-Agora). M.Bitbol et S.Laugier, Physique
et Réalité, un débat avec Bernard d'Espagnat
(1997. Frontières). Heisenberg, Physique et
philosophie (Albin Michel). E.Schrödinger, La
nature et les Grecs (1992. Seuil).
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